par DM Jeu 16 Juil - 9:11
Jugée indispensable par les industriels du transport, l'arrivée possible de poids-lourds gigantesques sur les routes de France fait frissonner les défenseurs de l'environnement.
Pour l'un, c'est la solution miracle. Sans laquelle interviendra «la mort du métier». Pour l'autre, c'est la source de fortes inquiétudes, l'objet d'une extrême «vigilance». D'un côté, Mustapha Kherief, PDG de PKM Logistique – une des principales entreprises françaises de transports routiers – et de l'autre, Michel Dubromel, responsable transports de France Nature Environnement, fédération d'associations écolos. Le débat, c'est l'arrivée possible en fin d'année sur les routes françaises des méga-camions, poids lourds beaucoup plus longs et plus chargés que les véhicules actuels.
La question est de taille. Actuellement, les camions peuvent transporter jusqu'à 40 tonnes de marchandises, et mesurer 18,75 mètres. Un méga-camion, comme son nom l'indique, c'est une autre échelle. Jusqu'à 60 tonnes et 25,25 mètres de long. Soit l'équivalent en poids d'un Boeing 737.
Dès le 25 mars, le secrétaire d'Etat aux transports Dominique Bussereau annonce que ces imposants poids lourds pourraient être expérimentés en France d'ici fin 2009. D'abord enthousiaste, il se ravise finalement ce mardi, demandant à l'Observatoire environnement transports d'étudier plus précisément l'impact global de ces mastodontes de la route. La mise en service de ces engins, attendue depuis quelques années par les industriels du transport, ne va pas de soi.
La pollution
Selon Mustapha Kherief, l'arrivée des méga-camions, EMS dans le jargon (European Modular System), est une question de bon sens environnemental. Des camions plus gros, donc plus efficaces. «On ferait rouler 2 camions plutôt que 3», appuie le directeur de PKM. Moins de pollution donc. Et l'évolution des normes européennes, destinées à limiter les émissions polluantes, va dans le même sens, rajoute le transporteur. «Euro norme 5», seuil plus exigeant imposé par Bruxelles, entrera en vigueur en septembre.
Problème, cela ne concerne que les véhicules neufs. Or, un EMS n'est pas un véhicule neuf. Il n'est rien de plus qu'un véhicule classique affublé d'une remorque plus grande. Le parc routier existant ne se renouvellera que dans de nombreuses années.
Ce qui inquiète également France Nature Environnement, c'est une augmentation significative du trafic des camions, en dépit des promesses des industriels. «Bien sûr, un méga-camion consomme moins, vue l'optimisation du nombre de tonnes transportées par kilomètre, admet Michel Dubromel. Mais vu que le transport routier deviendra plus rentable, les industriels seront tentés de se détourner du ferroviaire pour privilégier ce nouveau mode de transport.» En clair, il craint que 3 camions «classiques» laissent la place à 3 méga-camions.
La sécurité
Si on reste dans la logique de PKM : moins de camions, donc moins d'engorgement des autoroutes et moins d'accidents. De plus, «les EMS freinent mieux, car ils ont plus d'essieux», avance Mustapha Kherief. L'industriel mise sur une plus grande sécurité routière. Là aussi, les évolutions technologiques lui donnent en partie raison. Les engins nouvellement commercialisés sont indéniablement plus performants.
Mais, en passant de 40 à 60 tonnes, les méga-camions ont besoin d'une plus grande distance de freinage. «On ne peut rien faire contre les lois physiques», résume Michel Dubromel. Un rapport de l'Asecap (Association européenne des concessionnaires d'autoroutes et d'ouvrages à péage), accablant pour les EMS, vient appuyer ses arguments. Les réseaux routiers ne sont, selon l'association, «pas conçus pour des véhicules d'un poids de 60 tonnes». Tout y passe : tunnels, glissières de sécurité, ponts, carrefours exigus, aires de secours, dépannage... Rien, dans l'état actuel des équipements, n'aurait été étudié pour des camions de cette envergure. De tels aménagements nécessiteraient «des investissements massifs».
La convergence européenne
Autoriser les EMS, c'est «avancer tous ensemble», s'inscrire dans «l'esprit du temps», se défend PKM Logistique. En Suède et au Danemark, ils sont admis depuis longtemps. On les expérimente en Allemagne, aux Pays-Bas, malgré les réticences. Aucune raison de se laisser distancer, d'autant que «la concurrence étrangère» est oppressante, assure Mustapha Kherief. Faire évoluer les règles françaises, c'est la «seule manière de s'en sortir», de sauver une branche malmenée. La relance économique de la logistique française est à ce prix. Ce à quoi répond le responsable de France Nature Environnement: les pays scandinaves qui autorisent les bahuts le font par tradition.«Des camions de bois sur des routes désertes», qui écumaient déjà l'asphalte avant l'adhésion à l'Union européenne.
Il s'agira donc d'étudier avec précision les coûts et les incidences d'une telle nouveauté sur le réseau routier français. Les impacts sur l'environnement comme sur les finances publiques.